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FORT DE BOLLES
Première enceinte

Le soleil touchait à son zénith, ses rayons frappaient à travers les casques des sentinelles. Elles ne cessaient d’ôter puis de revêtir leur couvre-chef. En bas, deux rondes s’affairaient à retourner les alentours de l’ancien avant-poste.

Partout à travers la première enceinte, rabâchant au mot près les ordres prononcés par l’adjoint Julio, les militaires commandaient l’action des habitants. Ceux-ci cheminaient en file indienne, traversaient les passages, les échelles et les escabeaux déployés la veille. Ils se divisaient en trois groupes, chacun disposé en un point précis du camp. Le premier, installé sous la juridiction de Nathanaël, stationnait au niveau de la muraille nord, celui de Galen, à l’Est. Enfin, en supériorité numérique, la section d’Eva veillait à l’Ouest, et ce afin de combler la faille infligée par les pluies. Les femmes, les invalides et les enfants se tenaient en haut des murs, tous ou presque disposaient d’un arc. Une fois l’attribution terminée, les décisionnaires et autres âmes valeureuses s’établiraient devant chacun des accès, préservant de leur carrure l’intégrité des plus fragiles. La formation ne visait qu’un seul objectif : impressionner, et ce malgré l’hallucinante surface vacante laissée par le départ de leurs alliés. Au centre de ce balai dansant marchait un sexagénaire aux cheveux d’argent, habillé d’une chemise de corps noircie.

Il avança d’un pas, en direction d’un coureur.

— Ici, ça ira ?

— Quoi ! s’écria l’intéressé, sans même porter attention à l’identité de son interlocuteur, « par le diable, contentez-vous de suivre mes directives. (Il s’arrêta tout net, comme foudroyé) Oh ! je vous prie de m’excuser mon père, je ne vous avais pas reconnu ».

— Il n’y a pas de mal Julio, reprit l’intéressé, « non vraiment, je comprends votre agitation. Hum. Je vous attendrais juste là, à l’ombre de cet arbre. »

— Très bien.

Ce sur quoi le comptable redémarra au quart de tour, évitant du même coup le contact d’un nouveau civil, il n’admit cette fois-ci aucune excuse, et disparut dans le lointain. André Rezar de Guilfrei considéra les lieux, ses deux mains nouées au bas de son dos. On exigeait de lui qu’il endosse de nouveau le rôle de négociant, une profession passionnante, mais tachée de bien tristes souvenirs.

Un cri nasillard retentit. Il se retourna, contempla le passage de Nathanaël, de Julio, de Jair, d’Hernan et de Galen Golpear. Ce dernier se figea à son niveau, son bonnet rouge vif en travers des cheveux. Le reste de l’équipe poursuivit en direction des portes.

— Comment vous sentez-vous mon père ? entonna-t-il d’une voix claire et distinguée, « pas trop stressé, j’espère ? »

— Pas plus que nécessaire.

Deux militaires tirèrent à l’unisson l’un des panneaux de bois de l’accès principal, révélant un trio de cavaliers. Le premier démonta, salua, puis se rendit jusqu’au groupuscule formé autour de Nathanaël et Julio. Galen, sous ses attraits bienveillants, exposa une moue renfrognée. Il se ressaisit toutefois. André Rezar échangea un hommage avec le nouveau venu. Il s’agissait d’un cinquantenaire de petite taille, aux cheveux noirs et désordonnés, au visage arrondi, suturé par endroit. Une barbe ronde, incomplète, remontait jusqu’aux bas de ses oreilles. De son bras droit ne subsistait qu’un moignon, témoignage de son récent face à face avec un Mancro.

Dernier allié fidèle et colocataire de la première heure, Juan Vuelvo était un ami proche du commandant. Cette affection toute particulière datait des guerres vertes, conflit au cours duquel ils avaient combattu côte à côte. L’explosion des tensions, la répartition éclair des forces du roi les avait séparés, et chacun ignora longtemps le devenir de l’autre. En 760, le commandant Bolles accostait sur les rives du Nouveau Monde, Vuelvo, en 761. Celui-ci relança son activité : la chaudronnerie. Il loua une échoppe au sein de la bourgade de Cruce, jusqu’à la pénurie de 763. Son groupe incendia le baraquement des gardes, pilla une part du trésor public avant de s’enfuir dans la nature. Benedict Bolles, quant à lui, désertait ses fonctions au cours de l’année 765. Trois ans plus tard, les deux camarades se rencontraient dans les forêts dressées au sud de Cruce. Ils délogèrent ses occupants, formèrent un cartel avec l’aide de Tomas Aislar, d’Adam Perono, et de Jessy Perdido, une alliance forte, à l’heure d’aujourd’hui révolue.

Benedict Bolles se joignit au comité d’accueil, et les deux vieux amis, après une brève accolade, exécutèrent un salut militaire. Vuelvo ordonna à ses gens d’approcher. Deux douzaines d’hommes, chacun portant l’équipement complet, se scindèrent entre les flancs est et ouest. Le sourire aux lèvres, Galen retira son couvre-chef à l’égard du mutilé, il plissa les paupières, en un geste de dénégation inconsciente, avant de formuler un simple hommage. Hernan, lui, se contenta d’un salut. Vuelvo se saisit de l’occasion, s’exprima d’une voix grave et profonde, afin de restituer cet honneur. Ceci-fait, le groupe s’en retourna jusqu’au bâtiment principal.

Hernan et Galen Golpear partageaient avec Vuelvo un contentieux, une affaire datant de leur premier entretien. Ils exerçaient jadis en tant que mercenaires indépendants, raison pour laquelle Vuelvo s’était opposé à leurs intégrations, les qualifiant par ailleurs de vautours. André Rezar considérait la fratrie d’un œil critique, notamment Galen. Meneur établi, celui-là savait cacher avec brio ses véritables intentions. Le prêtre pressentait à ce sujet de terribles desseins. Mais il accordait sa confiance au commandant.

Il se conformait à ses volontés.

Sur la route, le nouveau venu retraça son périple, aborda le sujet des pluies ainsi que la situation géopolitique du pays. L’armistice, selon lui, ne valait pas plus qu’un pet de lapin. Il présageait la rupture prochaine du pacte de non-agression. Julio écoutait avec admiration. Benedict Bolles, lui, reprenait des couleurs.

— La guerre vous balayera ! coassait sans cesse le mutilé, « Restez, Benedict, reconsidérez votre décision. »

— Marchons jusqu’à vos appartements, l’ignora Bolles, « Julio, veillez à vous fournir d’une collation afin de satisfaire l’appétit de mon ami. Ajoutez-y une outre d’eau. Prenez votre temps, Basile ne respectera certainement pas l’horaire. »

— Mon premier éclaireur est sur ses traces, assura Vuelvo.

À onze heures et demie passées, Hernan déclara la bonne tenue de l’ensemble du dispositif.


On annonça au bout d’un quart d’heure l’arrivée imminente du dénommée Loco. Les visages, dès lors, blanchirent à vue d’œil. Une rumeur discrète, suppliante, progressa le long des murailles. Chacun se retourna au second passage du commandant. La soutane usée d’André Rezar voletait derrière lui, suivie d’Eva, de Nathanaël, de Julio, de Galen et de Vuelvo. Celui-ci cracha, manifestement irrité par l’interruption portée à son déjeuner.

— Ce fils de putain.

— Il vous a eu, commenta Benedict Bolles avec une pointe de malice, « Basile ne respecte pas les règles du jeu. Il a assurément violé le pacte de non-agression une bonne douzaine de fois depuis le début de la matinée. »

Vuelvo éclata d’un rire terrible, remplacé presque aussitôt par une violente quinte de toux. André Rezar, Julio et Eva réprimèrent un hoquet tout à fait surjoué. Le commandant Bolles était un leader né, un orateur capable de galvaniser les foules en quelques mots. Son humour, toutefois, laissait quelque peu à désiré. Les gonds grincèrent de nouveau et une silhouette énorme, disproportionnée, s’engouffra à travers l’entrebâillement.

Le silence survint.

Un Mancro, à savoir un être mi-homme mi-bête, à l’épiderme recouvert de petites écailles pointues, apparut sous les yeux du conseil adjoint. Deux cercles d’épines osseuses enchâssés de bijoux et de camelotes en tout genre s’échappaient depuis l’arrière de son crâne, à la façon d’une crinière. Il était nu des pieds jusqu’à la taille, le torse revêtu d’une blouse enveloppée dans un manteau militaire. (Chacun déchiré au niveau des manches et de l’encolure) Un arc long gisait dans son dos, encordé tout près d’un carquois garni de projectiles translucides. La bête esquissa un sourire benêt, contempla de ses deux pupilles opaques chacun des membres du groupuscule. Elle s’inclina en guise de salut, avant d’effectuer un pas de côté. Derrière elle figurait son maître.

Il s’agissait là d’un quarantenaire aux cheveux bouclés, aux traits vifs et anguleux. Il ne portait ni barbe ni moustache, un tatouage symbolisant l’aspic dépassait de sa veste ouverte. L’animal enserrait sa gorge, sa tête, pendue au bas de sa clavicule gauche, semblait foudroyer du regard l’ensemble de l’assistance. Il avança sans crainte, les deux bras tendus.

— Garde du corps de première catégorie. Pas toujours facile de discuter, mais j’crois pas que ce soit nécessaire. Il s’appelle Berol, ou Bewol. Je sais plus. Comment ça va par ici ?

Une ovation retentit depuis l’extérieur de l’avant-poste. Les sentinelles installées en haut des tours affichaient un air de défi. Le nouveau venu s’essuya les mains sur son pantalon, puis salua. Le commandant Bolles ignora l’affront. Il ordonna aux deux fantassins de poursuivre la manœuvre. Les deux panneaux de bois pivotèrent de nouveau à quatre-vingt-dix degrés, dévoilant la présence d’une horde d’individus hétéroclites. Les uns affichaient un défilé de vieux vêtements salis, d’autres vivaient torses nus, affublés de haillons, d’autres encore arboraient de simples culottes rapiécées. Beaucoup présentaient une peau noircie, parsemée d’éclat boueux, de furoncles et de plaies purulentes. À leurs ceintures : des couteaux, poignards et serpes de paysan, dans leurs dos : des fourches, des épées, des lances, des arcs. Deux chevaux aux pelages sales se tenaient au centre de la formation, tirant une charrette. André Rezar réprima un frisson de dégoût.

Basile Loco commandait une secte, un parti basé sur le charisme d’un seul homme. Militaire de profession, il était connu pour son extrême cruauté. Il avait trahi son serment, assassiné ses supérieurs et camarades au cours de la grande grève des travailleurs, en 763. Ses fidèles comptaient aujourd’hui des meurtriers, des violeurs, des prostituées, des pillards et des proxénètes. Ceux-ci menaient contre le groupe une véritable guérilla.

Ils grignotaient leur territoire, leurs gibiers, attentaient à leurs vies, et ce depuis huit mois déjà.

Basile effectua son entrée, contournant le corps adjoint. Il parcourut quelques mètres, fixa les troupes alignées en rang sur les murailles, puis reconnut quelques-uns des membres des garnisons. Enfin, celui-ci reporta son attention sur la personne de Vuelvo. Il ne semblait guère satisfait de la présence du mutilé.

— Belle petite équipe que vous avez là, chanta-t-il par-dessus son épaule, « puis-je disperser mes propres pions ? Qu’ils s’assurent du bon déroulé de notre entretien. »

Son audace, son aplomb ajouté à son air moqueur déclencha un faible grognement en arrière-fond. Celui des habitants.

— Mais bien entendu, attesta Benedict Bolles, « Galen. Escortez ces gens, je vous prie, veillez à leur confort. »

— Bien sûr, mon commandant.

—Basile, à vous l’honneur.

Tous cheminèrent jusqu’à la partie ouest de la cour, en direction de la table des négociations. L’ouvrage, exposé exceptionnellement à la lumière du jour, était dans un état lamentable. Ses coins recouverts d’un fin duvet verdâtre, son plan gondolé, tordu par l’humidité, exhalaient d’une odeur de bois moisi. André Rezar s’installa en face de Basile, le commandant Bolles à sa droite, Vuelvo à sa gauche. Galen ordonna à son frère de disposer une poignée de ses soldats en arrière-garde, avant de stationner lui-même au-devant de Nathanaël. Eva se tenait dans l’ombre du commandant, face à Basile. Ce dernier siégeait entre deux de ses subalternes, à savoir : un trentenaire à la barbe hirsute, à la joue gauche garnie d’une estafilade, ainsi qu’une femme dont la coiffure emmêlée formait un genre de boule de glaise. Au-dessus de lui, l’énorme murène fixait la silhouette élancée d’Eva.

Les fidèles de Loco stationnaient de part et d’autre de la cour. Ils patientaient les bras ballants, jetant un défilé de regards hautains en direction des habitants.

— Bien, lança Benedict Bolles, le teint de nouveau livide, « je vous présente André Rezar, un… »

— J’ai la berlue, le coupa Basile, « vous voyez quelque chose à becter vous ? Ce n’est pas convenable. »

Ses deux acolytes se fendirent d’un rire gras. Une ombre passa sur le front mutilé de Vuelvo. Le commandant Bolles repris, le timbre tout à fait serein :

— Nous allons vous servir de quoi vous sustenter.

On apporta une caisse contenant quelques menus rations de nourritures. Le trio s’en empara, l’air vorace. La coutume, selon les saintes Écritures, voulait en effet que l’on partage le pain et le sel avant tout marchandage. Il appartenait à l’acheteur, toutefois, d’offrir le couvert à la tablée.

— Super. Commenta Basile, la bouche pleine. « Pas mal cette viande. Hum, vous dérangez pas pour moi, poursuivez. ».

— Je vous remercie. Voici André Rezar, le…

— Votre cureton oui. Qu’est-ce qu’il fait là d’ailleurs ?

À la surprise générale, le prêtre imita d’un rire franc les deux acolytes. Ceci fait, il recula son siège, se leva, épousseta son pantalon, puis tendit une main à l’adresse de son interlocuteur.

— Je me ferais un plaisir, monsieur, de vous entendre tout à l’heure au parloir. En attendant, considérez ma nature de négociant, mon second et dernier emploi civil.

Les deux acolytes se turent. Basile usait ici du mécanisme de l’exclusion, un stratagème visant à titiller la frustration du client. On enchaînait les provocations, saupoudrait le tout d’un zeste d’urgence simulé. (La rareté du produit, par exemple) L’exclusion permettait dans certains cas d’obtenir l’ascendant psychologique. Elle nécessitait le respect strict et pointu d’un équilibre précaire. La cible pouvait renoncer à tout moment, par égo, par colère aussi, à l’égard du comportement du commerçant.

Mais Basile ne risquait rien.

L’urgence était réelle. La communauté conservait sous une bâche le résultat d’un dernier coup d’éclat, un raid massif, insoupçonné, porté au géant de l’industrie minière. Le projet (nommé « Exode ») consistait en l’obtention d’un pécule important, un fond d’investissement nécessaire au relogement des troupes. Le Commandant souhaitait se diriger vers l’ouest du continent, en une zone vierge de toute présence humaine. « À l’abri de la guerre, de la concurrence et des pénuries » pérorait-il sans cesse. Les désaccords, les crises et les pluies se succédèrent toutefois, paralysant momentanément toute entreprise. De ses nombreux alliés ne restait plus que Vuelvo désormais, et celui-ci refusait d’abandonner le fort. Il s’était toujours opposé à l’Exode, qu’il considérait comme irréaliste.

Basile s’essaya à critiquer la qualité, puis la quantité de nourriture servie, obligea son interlocuteur à reformuler au moins une fois chacune de ses interventions. Au final, il abandonna « l’exclusion », constatant son inaptitude à provoquer le prêtre. Les négociations entrèrent dès lors dans une phase rébarbative, où chacun des partis usa de son argumentaire. André Rezar retraça les dangers encourus lors de l’attaque : le nombre de vigiles, les blessés, les pertes et les conséquences. Julio vanta la pureté du produit, récita de tête les chiffres exacts, sans omettre une seule virgule. Vuelvo cracha. Basile demeurait inflexible.

— Sept de cuivre au kilo, lâcha-t-il au bout d’un moment.

— Vingt, répliqua André Rezar, « ne soyez pas ridicule. »

— Neuf.

— Dix-huit.

— Seize. Oh ! Et j’veux l’un de vos gosses, n’importe lequel.

Ses dernières paroles, jetées ici sans aucune intonation, n’eurent pas moins que l’effet d’une bombe. Les sentinelles postées à proximité reculèrent de concert. Nathanaël eut un spasme nerveux, Eva poussa un léger sifflement. Le commandant Bolles ne bougeait pas, tout comme Galen. Julio, quant à lui, affichait un air sinistre. Basile, tout sourire, caressa la cuisse de sa voisine de table.

— Il n’a jamais été question du commerce d’aucune âme, souffla le prêtre, aussi calme que possible.

— Allons, mon père, un peu de bon sens. Je consens à vous apporter mon aide, la moindre des choses serait d’accepter quelques menus sacrifices.

— Des sacrifices. DES SACRIFICES ! explosa Vuelvo, « Nous vous cédons déjà une part de nos terres, de nos cultures. Gardez-vous de telles propositions, par le diable ! »

— « Vos » terres, « vos » cultures, « votre » avant-poste. Non. Tout ceci m’appartient de plein droit. J’ai conquis cet endroit et vous m’en avez chassé, vous et votre belle équipe de l’époque. Oh ! Je connais parfaitement votre situation. Vous avez tenté le tout pour le tout, et vos copains ont pris la poudre d’escampette, d’où cet espace vacant ! (Il tendait les bras) Votre dieu vous abandonne, alors vous faites appel à moi, le rebut. Que ce soit bien clair, aujourd’hui, vous ne me cédez rien, je vous prends. Maintenant, filez-moi l’un d’vos gosses, et avec le sourire s’il vous plaît, ou je quitte la table. Celui-là par exemple, il serait parfait.

Il fixait l’attroupement rassemblé en haut du mur ouest, en direction de Poryduro et de sa mère. Celle-ci, épouvantée, laissa échapper un cri perçant.

Aucune réponse.

— Comme vous voudrez, conclut Basile, se redressant sur ses jambes (il jeta à l’homme-murène quelques instructions inaudibles, puis s’en retourna en direction de plusieurs de ses fidèles) « Messieurs, mesdames, nous partons. »

Trois fantassins lui barrèrent la route, le premier arborant un vieux pourpoint noir à manches tailladées.

— Asseyez-vous, lui susurra Galen.

Basile sourit de toutes ses dents.

Une sueur froide, comme animée d’une volonté propre, descendit le long de la colonne vertébrale d’André Rezar. Basile ne manifestait aucune agressivité. Son instinct, pourtant, lui dictait de s’éloigner, de disparaître à l’autre bout du monde si nécessaire. C’était une bête, un animal féroce indissociable de la silhouette démesurée de son abominable gardien. Le son des lames, des cordes tendues le tirèrent de sa contemplation. Basile frôlait des doigts le manche de sa serpe, il jeta un air de défis à Galen qui, d’un calme olympien, le lui rendit dans l’instant. Des paroles furent échangées. Vuelvo fulminait, Julio tenta d’intervenir, Nathanaël, deux flèches encochées en direction de la tête du Mancro, retenu d’un cri ses deux lévriers. Enfin, Eva aboyait des ordres en pagaille, à l’égard de leur bataillon respectif.

La chaleur plaçait chacun dans un étau. Les fidèles jubilaient à l’idée d’un débordement.

— Non ! NON ! rugit soudain Basile, « baissez vos armes, mes braves. Laissez-les porter le premier coup. »

André Rezar considéra la scène en silence, incapable de réagir. Il avait échoué sur toute la ligne. L’affrontement, quelle que soit sa finalité, réduirait à néant tous leurs projets. Galen dégaina sa lance, et manqua de peu d’égratigner le flanc de son ennemi.

— TUEZ-LES ! martela la voix du Meneur Hernan.

Un concert de cris sauvage et d’appels aux meurtres retentit. Le prêtre songea à la fuite. Il pourrait s’éclipser dans la cohue, refaire sa vie, tout recommencer. Sans autres pensées que celle-ci, il plongea un bras à l’intérieur de l’encolure de sa soutane, en ressortit une lame effilée qu’il brandit à la vue de Julio. « Non », conclut-il tout en admirant le courage du comptable. Non, il ne fuirait pas. Pas cette fois. Les chiens bondirent. Les fidèles, hystériques, lancèrent une charge en sa direction. Les flèches sifflèrent depuis le haut des murailles. Celles de Nathanaël éclatèrent au contact des deux avant-bras du Mancro. Eva Derrocado s’élança en avant. Elle repoussa d’un geste la jeune femme à la coiffure de glaise. Galen, lui, débutait son face-à-face avec Basile.

— LÂCHEZ VOS ARMES. EXÉCUTION !

Les militaires reculèrent de concert, les archers détendirent les cordes. L’ensemble des hommes, des femmes et enfants dispersés aux alentours obéirent à l’écoute du timbre vibrant, du léger accent Ordanais du commandant Bolles. Celui-ci se tenait au-dessus de la foule, fixé sur la table des négociations.

— Marché conclu, dit-il. « Nous acceptons tes conditions. ».

Un orchestre de chuchotements, de plaintes, de rumeurs silencieuses sonna aux oreilles d’André Rezar. Le prêtre laissa échapper un hoquet. Il ne put admettre, malgré un effort considérable, la nature des derniers propos prononcés.

Mme Vivir hurla à s’en déchirer les poumons.

Vous lisez l’édition Live de MISE A SAC, , de Le Roi Hurleur. CC BY-NC-ND 4.0
Dernière mise à jour du chapitre : 2025-07-22 (révision : -non défini-)
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