Aysa-kabir Grande
« Ding ding ding ! Ding ding ding ! DING DING DING ! »
Le geste faible, indécis, la vieille Stela recouvrit de ses doigts nus la clochette murale. Le vacarme étouffé, elle replanta le clou dans la cire encore chaude, extirpa du lit son antique carcasse. Elle enfila ses pantoufles, un vêtement jeté sur ses frêles épaules, mâchouilla le restant d’un quignon de pain, cracha dans son pot de chambre.
Elle empoigna sa lanterne, souffla la bougie.
Premier passage : 4 heures. Le dortoir nord, lugubre, silencieux, ponctué du léger halo lumineux des réverbères. Postée aux abords d’un premier pâté de maisons, elle rehaussa le col de son uniforme, tira de son ceinturon une fine baguette de bois rongé. Trois coups successifs. Deux rapides, un marqué, comme d’habitude. Elle s’impatienta. Deux rapides, un marqué ! Le volet coulissa, révélant les traits d’un homme au visage cramoisi, éclairé à la lueur d’une chandelle et surmonté d’un bonnet. Ce dernier baya aux corneilles. La cale crochée, la veilleuse saluée en bonne et due forme, il s’en retourna à l’intérieur.
La vieille Stela gagna d’une enjambée le volet du logement suivant, un autre encore, jusqu’à l’exécution d’un tour complet. Elle s’accorda une courte pause une fois la totalité de son secteur traité.
Second passage : 6 heures. Les artisans s’installaient aux comptoirs des boutiques, leurs chiens sur les talons. Elle frissonna, poussa bientôt à portée d’un palier célèbre, celui du « grand diable », un spécimen bien connu des environs. Les traits tirés, sa baguette dressée, prête à l’emploi, elle entama sa valse rituelle. Surgi alors, avec le flegme d’un ogre au réveil, un véritable colosse à la peau mate et granuleuse. Deux mètres, pas moins ; une chevelure d’encre, crépue ; dotée de deux iris brillants.
— Merci. Courage, madame, s’écria Kab, sans s’inquiéter du sommeil de ses semblables.
La vieille Stela opina du chef puis, sans un mot, se retira.
Dès l’aurore, la lumière irradiait les plaines. Elle s’agitait parmi les cultures, infiltrait les bosquets, les tertres. Elle pénétrait les masures, les reliefs, sans distinction. Elle s’éclipsait au contact des « Porte du paradis ».
9 heures. Plongées en un continuel clair-obscur, les ouvriers clouaient ou désossaient les charpentes. Un groupe d’inspecteurs visitaient ce matin les chantiers, portant d’un bout à l’autre de la rue, bavardant, tenant conseil en présence des manœuvres, sans manifester le moindre intérêt pour les riverains venus assister aux réparations. Deux figures d’importances les accompagnaient : l’évêque, coquet, indiscret, beau parleur, ainsi que le contremaître Amargado, un petit homme aux cheveux courts et frisés, à la parole et aux actes énergiques. Il parlait fort afin de conserver sur lui l’attention de son auditoire.
— Hey, vise un peu, pesta un chef d’équipe, « du gratin, en vérité ! »
— Je te jure ! Le boss gratte pas assez pour supporter pareils peigne-culs, répliqua un charpentier, à califourchon sur un toit éventré. Il haussa le ton, se détourna. « Holà, par ici. Le madrier1 ! »
À portée de voix, un être au buste massif, aux longues jambes courbées, transportait une poutre épaisse. Munis d’un cou tubulaire surmonté d’une gueule plate striée d’éperons (une crinière composée en majorité de pointes osseuses) les Mancros évoquaient de grosses murènes à figure humaine. De « grotesques démons aux yeux vitreux » si l’on s’en tient à la croyance populaire. Tapissées d’écailles brillantes, multicolores, ces carnivores dépassaient sans mal les deux mètres cinquante, disposaient à l’état sauvage de griffes rétractiles et d’une dentition acérée. Une visite quotidienne chez les « Barbiers » assurait de leur passivité. Les membres sanglés, les mâchoires entrouvertes, maintenues au moyen d’une pièce métallique, on limait ou retirait à l’aide d’un poinçon l’arsenal mortel de ces géants difformes. Vendus comme esclave, les Mancros constituaient une main-d’œuvre utile et bon marché.
Mais pas toujours très docile.
« Eh ben ! C’est pour aujourd’hui ou pour demain, mon bon ami ? » La murène, gonflant le torse, couvrit son interlocuteur d’invectives. Un dialecte obscur, propre à sa tribu.
À l’affût de tels outrages, le chef d’équipe l’interpella puis, observant son insuccès, résolut d’user de sa pleine autorité. Il convoqua d’un coup de sifflet un contingent armé de surveillants, lequel pressa l’insoumise créature jusqu’à l’obtention de son entière allégeance. Elle consentit au bout du compte au transport du madrier.
— Des sots, vous dis-je. « Tout dans les bras, rien dans la caboche », éclata au loin le contremaître Amargado.
— J’aurais pas mieux formulé, reprit le charpentier, sur son ouvrage. « On passe nos existences à se répéter avec ces animaux. Ah ! L’ambiance est bonne ! Pas un bonjour, pas un merci. Jamais. De vrais sauvages. »
Cependant le Mancro se traînait au pied du bâtiment, sous les rires et railleries de la compagnie. Il installa son chargement sur un plateau. Le madrier dûment disposé, la poulie prête à l’emploi, il reçut l’ordre de sangler la pièce. D’ordinaire, la réglementation n’était guère appliquée, non pas par souci d’éthique ni de délai prescrit, (la restauration d’un quartier réputé malfamé importait peu aux magistrats) mais bien par pure tradition orale. Les anciens travaillaient sans harnais, sans garde-corps. Leurs descendants perpétuaient cet héritage. Ce matin toutefois les commis de l’inspection générale veillaient au grain. Un rapport rédigé de la main d’un contrôleur zélé n’arrangerait pas les affaires du groupe. Aussi respectait-on à la lettre les consignes de sécurité.
Le cordage tendu, la bête banda ses muscles. Elle hissa non sans mal la pièce à hauteur des ouvriers, la maintint en suspension le temps requis. L’opération exécutée, elle déposa le plateau en douceur, lova la corde au sein d’un local prévu à cet effet.
Le contingent armé poursuivit sa patrouille. La créature profita de cette seconde de relâchement. Elle s’écarta de son itinéraire initial, contourna sa cible, l’écume aux lèvres, sa denture en partie reformée. La pénombre jouait en sa faveur. Le chef d’équipe supervisait le placement du madrier. Les ouvriers appliquaient aux mieux ses directives.
Elle entrouvrit ses mâchoires, tendit le cou, prête à frapper.
« ATTENTION ! » Surgissant d’un angle mort, un poing gigantesque s’écrasa contre le crâne cartilagineux du Mancro, le détournant de son objectif. La puissance déployée suffit à renverser sa carcasse imposante.
Le choc alerta l’ensemble du personnel. Les riverains s’entassèrent en vue du spectacle. Une silhouette hagarde, massive, un titan surplombait le corps transi de l’agresseur. Le sang gouttait de ses jointures meurtries. Ramassé sur le flanc, l’homme poisson papillonna de surprise, entreprit de filer sans demander son reste. Il confronta bientôt les guisarmes des miliciens, se jeta face contre terre, terrorisé. Auprès des victimes, le contremaître Amargado constata des dégâts et, une fois tranquillisé, rua sur la dépouille de l’infortuné. Il dégaina son fouet, molesta la créature jusqu’au sang, jusqu’à recueillir sa complainte. Nul, pas même les contrôleurs, ne daigna commenter la réaction du maître des lieux.
— Ce brave garçon, avisa l’évêque dès l’incident digéré. « Ne songez-vous pas qu’il mérite de recevoir une récompense ? »
— Grande ? Certes, il a fait preuve de courage, reconnu Amargado.
La proposition rencontra un fort succès, si bien qu’on annonça en grande pompe que le héros du jour obtiendrait une ration supplémentaire au cours de la collation du midi. Le contremaître sauta sur l’occasion.
— Prenez note, messieurs. Voici l’exemple parfait de la belle et poignante solidarité de nos équipiers. Il gratifia le colosse d’une retentissante tape sur le bras. « Ici, on se serre les coudes, on s’active comme qui dirait en bonne intelligence. Aysa-kabir Grande, malgré ses origines, est tout à fait intégré parmi nous. Pas vrai champion ?! »
Midi. Le soleil, au zénith, perçait telle une pluie diaphane les façades éventrées des bâtiments. Travailleurs et badauds se détournèrent de leur labeur quotidien, s’amassèrent en file indienne, au son des clochetons disposés sur toute la ville. La population rurale culminait ces temps-ci à plus de cinq mille têtes. L’administration, en conséquence, avait investi dans la construction d’autels de plein air, sorte d’enclos consacré pourvu d’un pupitre et d’une sacristie, laquelle permettait aux bedeaux2 d’entreposer leurs effets personnels. La procession occupa sous peu l’étendue citée. La mine basse, les cheveux propres ou coiffés d’une calotte de toile, tous reçurent la bénédiction, avant d’obtenir un bol de gruau agrémenté d’une touche de lard fumé et d’une miche de pain noir. Comble du bonheur, un genre de galette de riz au goût sucré parachevait ce copieux repas, lequel fut célébré en l’honneur des élites présentes.
L’évêque, tout sourire, attira auprès de lui son protégé, leva vers le ciel l’index de sa main droite. Il déclara :
— Je vous pardonne, mon fils, puisse l’Unique vous accompagner sur ces terres, et par delà le grand continent. Allez en paix à présent.
L’intéressé s’inclina, récupéra son dû. Séparé du reste du groupe, il engloutit en un temps record le contenu de son écuelle, but jusqu’à satiété. Le supplément, composé d’un pain, de deux gâteaux ainsi que d’une tranche de lard intacte, fut conservé avec soin. Enfin, il s’allongea sur le dos, mains derrière la tête, les pieds en éventail.
Il somnola jusqu’à la reprise des manœuvres.
17 heures. Fin de service. Les Mancros furent conviés à regagner leurs ghettos. Le colosse, préposé quant à lui au curage des outils, reçut la visite du chef d’équipe. Ce dernier ne semblait guère disposé à la critique de l’ouvrage accompli. De fait, il parcourut de long en large le plan de travail, le jaugea d’un air sévère, avant d’échanger avec lui une simple accolade. Sur le départ, le contremaître Amargado, une tige de tabac entre les doigts, remit à ses ouailles une enveloppe cachetée. La distribution terminée, il exhala un épais panache de fumée blanche.
— Bien. Maintenant que les paresseux ont foutu le camp, on va pouvoir causer d’homme à homme, sans intermédiaires. Je vais pas y aller par quatre chemins. J’ai été à votre place. Le dialogue est clair entre nous. Ils comptent dégraisser les équipes. On fera pas exception.
Des auréoles sous les bras, les muscles moulés au contact de sa chemise sans manche, le colosse s’inséra entre deux enseignes, s’arrima au corps d’une branche esseulée, puis gravit un léger coteau.
Sur la première avenue grondaient les pas d’une société aux couleurs criardes et délavées, un flux tendu à destination des dortoirs ou des cabarets les plus en vogue. Les habitants jouaient des coudes, des garçons se chamaillaient au travers de cet amas formidable. Parmi eux, de superbes montures attablées le long de râteliers vermoulus, des étals, des toiles cirées roulées, ou crochées sur des présentoirs. Les détaillants exposaient à la criée des assortiments de pendentifs magiques, des philtres d’amour, des remèdes contre la toux, l’insolation… En milieu de piste, d’importants cortèges paradaient escortés de peloton armé. Leurs chauffeurs, de mauvais bougres au regard méchant, réclamaient sans cesse le passage. Ils n’hésitaient pas à molester quiconque refusait d’accéder à leurs desiderata. Les grandes entreprises et leurs actionnaires assuraient à Pigante une économie florissante, corrélée à l’agriculture et au transport de marchandises. Aussi condamner la conduite scandaleuse des convoyeurs était monnaie courante sur les parvis des cours de justice.
Dérobée derrière son mur d’enceinte, l’imposante citadelle (Ou Delta) était située à l’Est de la colonie, au pied du seul versant praticable d’un massif montagneux gigantesque, tendu au large des contrées fertiles et du vaste océan. D’où son nom : « Les portes du paradis ».
L’embranchement atteint, il se contenta d’un pas tranquille. Aux heures de pointe, l’affluence chutait de moitié en sortie de la première avenue. Sur les sentiers creusés, au pied des lampions ternis de la municipalité, les ouvriers circulaient en terrain connu. Sur les dortoirs, des clôtures de bois délimitaient de petites cases en pisé pourvu d’un volet unique, jumelé en un défilé ininterrompu. Ça et là, les riverains retrouvaient femme et enfants, ou se regroupaient entre amis. Des volutes de tabac signalaient leur présence.
Des visages atones, médusés, s’écartèrent à son approche. Ces constructions, aux dires des propriétaires, présentaient toutes les commodités d’un ménage respectable, de chaleureux nids douillets destinés aux masses laborieuses. Elles consistaient en effet en un local de plain-pied meublé d’un brasier central, d’une couche garnie, d’une table, de tabourets et de menus rangements, le tout scindé en divers compartiments par de ravissantes tentures suspendues. Elles bénéficiaient d’un accès privatif à l’eau potable, d’un service de traitement des déchets et du confort relatif de l’éclairage public, sans parler des taux horaires pratiqués sur la périphérie. D’aucuns les considéraient comme des privilégiés. Le colosse récusait cette idée. Réputé d’une solidité à toute épreuve, ces dignes pavillons s’effondraient presque aujourd’hui. Les portes ne fermaient pas. Les cloisons se lézardaient. Il n’étonnait personne qu’on découvre au matin de profonds sillons sur les boiseries, ou les murs de quelques façades en morceaux. Les demandes de travaux s’accumulaient. L’administration prétendait organiser des appels d’offres. Sans résultats. En outre, les loyers fluctuaient sans cesse sur Pigante, selon le bon plaisir des magistrats. Il ne s’estimait pas toutefois parmi les plus mal lotis. D’autres avaient vu leur demeure ensevelie. Pire, ils avaient perdu des proches. Au cours du printemps 769, le ciel s’était fendu d’un long communiqué à l’attention des habitants du Nouveau Monde. Deux jours sous les clapotements d’une pluie diluvienne. Deux jours confinés à subir les caprices des coulées meurtrières. Des victimes par centaines, des noyés, des disparus. La paix sociale n’y survécut. Les quartiers nord, l’Unique soit loué, avaient réchappé au gros de la catastrophe.
Le palier franchi, son immense silhouette arrimée sur le seuil, le colosse se glissa dans l’encadrement. Des langues des feux rougeoyaient au contact d’une casserole. Son fils, Pedro, dormait comme un ange.
Occupée à son bureau, son épouse, une jeune femme aux cheveux courts le salua d’un signe. Elle se redressa de toute sa hauteur.
— Bha, les gosses sont pas là ? demanda Kab.
— Demain. Ils sont chez Nelly cette après-midi, souffla Talia. « On reporte d’une journée une semaine sur deux. Tu te souviens ?
— Ah oui… Ça a été ce matin sinon ?
— La routine… tu sais comment sont les filles de l’atelier. Et toi ? C’est quoi ce bandage ? Tu t’es blessé ? »
En guise de réponse, l’intéressé souleva son ballot.
— On a reçu la visite des inspecteurs. Il y avait l’évêque aussi. Du coup, la cuisine était meilleure. Tiens, pour ta soupe.
— De la poitrine fumée !
— Le grand luxe, hein, poursuivit l’autre avec lenteur. « J’ai là également une miche de pain, deux gâteaux sucrés. Attends, ha, voilà. C’est un genre de galette bizarre. C’est pas du Dulzor, mais quand même, ça serait bête de pas en profiter. »
Talia, les sourcils froncés, le considéra d’un œil critique. Elle termina son tracé, déposa sa plume d’oie.
— Et… Ils l’ont distribué à tous tes collègues, cette pièce de lard ?
— Puisque je te le dis.
Elle s’apprêtait à relancer la conversation lorsque Pedro requit soudain toute son attention. L’enfant sollicitait le lait maternel.
18 heures. Comme fixé sur le train des bedeaux, la chaîne humaine serpentait le long des divers pâtés de maisons, vidaient les troquets aux salles combles. Habillés de leurs atours usuels, les riverains bavardaient à mi-voix, s’égayaient des rumeurs collectées durant la journée. L’autel de plein air atteint, ils assistèrent à la lecture, entonnèrent des chants, des cantiques à l’adresse de L’Unique. On commémorait ce soir en l’honneur de deux ouvriers du bâtiment, l’un mort d’une simple chute, l’autre au cours d’une échauffourée aux sorties des quartiers ouest, non loin du chantier où travaillait Kab. Ce dernier, incapable de tenir en place une seconde, mimait des lèvres la performance exigée. L’office terminé, le couple rebroussa chemin jusqu’à son foyer. Ils disposèrent sur la table un duo d’assiettes creuses, dînèrent de bon appétit, leurs contours zébrés par la fournaise. Ils savourèrent un potage de pomme de terre garnie de navets et de céleris raves. Au fond du poêlon, une fine bouchée de poitrine fumée macérait en pièce maîtresse.
Talia transvasa de bol à bol un nuage de soupe, le laissa tiédirent, avant d’en présenter une cuillère à Pedro. Deux billes scrutatrices, avides du moindre détail, se posèrent sur la préparation. Le petit ébaucha une grimace, céda dans un rire. Il aimait taquiner sa mère.
— Alors, cette histoire ?
— Hum ?
— Arrête, mon chéri, pouffa la jeune femme. « Tu feras croire à personne qu’on distribue un pareil morceau de viande au premier venu. Encore moins à toute une équipe. Qu’est-ce que tu as fait ? Elle fixa sa main droite, se rembrunit. Rien de répréhensible, j’espère ? »
Pedro se régalait à chaque bouchée. Le colosse, après moult réflexions, retraça l’incident survenu en cours de matinée.
Il rassura Talia quant à son état. Il avait déjà trop attendu, trop reporté. Il inspira tout son saoul, expira. Les mots coincés au fond de sa gorge jaillirent tout naturellement, tel un geyser d’eau glacée.
— Les responsables, ils comptent proposer un plan de licenciement.
— Quoi ? Encore ?
Talia déposa la cuillère puis, sans lâcher Pedro, pivota sur elle-même. « Je voulais pas gâcher l’ambiance » justifia Kab.
— Quand ?
— Quelques semaines, un mois peut-être. J’en sais rien. On nous a annoncé ça en fin de service. Amargado fulminait, t’aurais vu.
— Moué.
— Il nous a sauvé la mise l’an passé ! Il a évité la prison au père Igual après son accident. Pour ça, il connaît son sujet. Je lui fais confiance.
Pedro s’impatientait. Kab, fourbu, éreinté, suivait d’une oreille les formules marmottées par sa femme, qui déjà calculait la meilleure alternative. Il maudissait son impuissance.

Ils sursautèrent tous trois devant les gémissements piteux, les sermons terribles proférés dehors. À l’extérieur jappait un vieux corniaud. L’animal se lamentait, tirait sur ses liens. À ses suppliques s’ajoutaient celle de son propriétaire : une sélection d’injures, de leçons de morale sans queue ni tête. « TRUFFE BASSE, TRUFFE BASSE QUE JE TE DIS, SALE CLÉBARD ! », tempêtait une voix rêche et graveleuse, alourdie par l’alcool. « GARE À TOI, GASTAR ! IL T’EN CUIRA SI TU TRAHIS UN SEUL DE MES SECRETS ! TU M’ENTENDS, FOUTUE CHAROGNE !? TU AS COMPRIS ? »
Ses mauvais traitements dispensés, le voisin réintégra son appartement. Il célébra dès lors l’avènement d’une ère nouvelle, proclama la loi martiale, avant de claquer la porte comme un forcené.
— J’irais lui toucher deux mots tout à l’heure, soupira Kab.